Un Moteur Thermique Bilames a Construire




Cette augmentation, pour faible qu'elle soit, n'est nullement négligeable : une barre de fer de 1 m allonge de 1,2 mm entre le gel (0 °C) et l'eau bouillante (100 °C).



On doit tenir compte de cette dilatation dans tous les assemblages mécaniques, et ce d'autant plus que les métaux et leurs alliages présentent des coefficients de dilatation qui peuvent varier dans la proportion de 1 à 25 ; du coup, un ajustage un peu serré entre pièces faites de métaux différents peut être bon à 20 °C et complètement bloqué (ou complètement lâche) à 100 °C.





Pour la même raison, il est peu raisonnable de parler de pièces usinées au millième de mm, sauf en mécanique de haute précision, quand on sait qu'un axe dont le diamètre à 0 °C est de 20 mm(à 0,001 mm près) passe à 20,024 mm à 100 °C. Ces 0,024 mm d'augmentation du diamètre, soit environ 1/40 de mm sont mesurables avec le premier pied à coulisse au 1/50.



Tout bouge sans cesse avec les fluctuations de la température, et les ingénieurs qui ont à dessiner des montages métalliques - qu'il s'agisse d'une montre ou d'une locomotive - tiennent très précisément compte de ces variations thermiques.



Quand le montage est constitué d'un même alliage, les choses restent simples car tout l'ensemble gonfle où se rétrécit en proportion mais elles se compliquent si l'assemblage emploie des métaux différents.



Les coefficients de dilatation en longueur sont en effet fort différents d'une substance à une autre ; la formule classique donnant la longueur l d'une barre solide à la température t à partir de sa longueur lo à 0 °C s'écrit l = lo (l + bêta t). Ce coefficient bêta (10 puissance -6/degré) vaut par exemple 12 pour le fer - d'où l'allongement de 1,2 mm d'une tige de 1 m entre 0 °C et 100 °C. Il vaut 24 pour l'aluminium, 17 pour le cuivre, 9 pour le platine ou le verre, et seulement 1 pour l'alliage fer-nickel 64/36.







Les aciers au nickel ont d'ailleurs la très curieuse propriété d'accuser des variations énormes du coefficient de dilatation selon la teneur en nickel : la courbe représentant des variations démarre par un maximum voisin de 18 pour un faible pourcentage de nickel, puis descend à 1 pour 36 % de Ni, remonte à 9 (comme le verre) pour 46 % - alliage dit platinite - et termine autour de 13 quand on va vers le nickel pur.




Comme nous allons le voir, ces différences de dilatation sont exploitées pour faire des bilames dont la forme varie beaucoup avec la température. Auparavant, notons qu'un solide occupe toujours 3 dimensions dans l'espace, et que la dilatation l'affecte donc toujours dans ces 3 dimensions : c'est tout le volume qui se dilate. Le coefficient de dilatation volumique est très sensiblement le triple du coefficient de dilatation linéaire a.



Remarquons aussi que le phénomène de dilatation - et de rétraction quand la température descend - était connu depuis l'antiquité, mais que son interprétation a du attendre les connaissances actuelles en physique du solide. On admet aujourd'hui que la chaleur traduit l'agitation des molécules de tout élément matériel, cette agitation étant d'autant plus accentuée que la température est plus élevée.



De là découle l'existence d'une température zéro qui correspond à l'arrêt du mouvement moléculaire : au 0 absolu (-273 °C) atomes et molécules sont immobiles. Au delà de cette limite, ils commencent à osciller autour d'une position moyenne, l'amplitude du mouvement étant d'autant plus grande que la température s'élève. En première approximation, on peut considérer ces vibrations comme sinusoïdales, mais l'expérience a montré que ce n'était vrai que pour de faibles amplitudes, donc de basses températures.



Dès qu'on s'éloigne largement du zéro absolu, les atomes oscillent entre deux valeurs R1 et R2 qui ne sont pas équidistantes de la position d'équilibre Ro ; à ce moment les vibrations ne sont pas sinusoïdales. La distance moyenne des atomes n'est plus Ro et la force de rappel qui assure les oscillations n'est plus symétrique par rapport à la position d'équilibre : elle est plus grande lorsque les atomes sont rapprochés que lorsqu'ils sont éloignés.







En conséquence, la distance moyenne des atomes s'est accrue sous l'influence de l'élévation de température, ce qui explique la dilatation thermique. On peut d'ailleurs calculer l'ordre de grandeur du coefficient de dilatation d'un solide à partir de ses caractéristiques atomiques ; il s'agit là de calculs qui relèvent de la mécanique quantique et de la thermodynamique. Nous n'insisterons donc pas, en retenant seulement que la dilatation est liée à l'arrangement des atomes et que celui-ci prend plus de place à mesure que la température s'accroît.




Plus important pour nous va être le fait que les divers métaux et alliages ont des réseaux atomiques différents, et donc des coefficients de dilatation différents. Ces coefficients, nous l'avons vu, sont faibles et l'allongement qui en résulte passerait inaperçu à l'oeil nu, mais un artifice analogue au bras de levier inversé va permettre de rendre leurs différences clairement visibles.



Cet artifice consiste à souder l'une sur l'autre 2 lames faites de métaux ou d'alliages différents, par exemple fer et cuivre (coefficients 12 et 17), fer et aluminium (12 et 24) ou mieux alliages fer-nickel pouvant offrir des écarts de 1 à 15. Quand on chauffe un de ces bilames, il se courbe car le métal très dilatable allonge plus que celui qui l'est peu ; les 2 extrémités étant tenues de rester en contact, le plus dilatable recourbe le moins dilatable sous lui et se trouve donc du côté convexe.



Quand la température redescend, le bilame se redresse et devient droit pour une température donnée to ; si la température continue à descendre, le bilame se courbe dans l'autre sens, le métal le plus dilatable raccourcissant plus que l'autre. Il est cette fois du côté concave. Plus le bilame est long, et plus la courbure est apparente au moindre changement de température. Qui plus est, ce changement de forme est très puissant puisque les forces de dilatation, nous l'avons vu le mois dernier, sont très intenses.



Avec des alliages ayant de grands écarts de dilatation pour une même température, soudés ensemble sur toute leur longueur et mis ensuite en spirale pour diminuer l'encombrement, on obtient des spirales thermostatiques d'usage courant dans toutes sortes de matériels ou les variations de température doivent commander des variations de débit : ouverture de vannes, de pales, de clapets et autres.



En particulier, on trouve des bilames de ce type dans tous les thermostats des frigidaires, des moteurs de voitures, des radiateurs de chauffage ou de refroidissement, des machines à laver et autres engins thermiques. Plus simplement, ces bilames servent aussi à faire des thermomètres à cadran rond dont la fidélité n'est pas le point fort par suite de modifications dans le temps de la structure des alliages, il est vrai aussi qu'on ne leur demande pas une précision supérieure au degré et qu'ils sont plus solides que les instruments à liquides.



Pour notre part nous allons utiliser des bilames de grande taille qui sont plats à la température ambiante (environ 20 °C) et se courbent nettement dès 40 °C. Afin de rendre spectaculaire l'expérience qui met en évidence ces effets, nous avons retenu l'idée de B. Gitton, un artiste qui s'est fait une spécialité du design scientifique ; il a créé notamment une lampe, dénommée Céphéide, qui illustre parfaitement les oscillations d'un bouquet de bilames sous l'effet de la chaleur. Comme les bilames en question ne se trouvent pas dans les supermarchés, nous lui avons demandé de mettre à la disposition de nos lecteurs les 8 lames de 24x200 mm qui seront nécessaires pour réaliser le moteur en question.




Toutes les pièces en plastique sont en polystyrène choc de 2 mm d'épaisseur. Les autres composants sont :

- 8 bilames de 24x200 mm

- 1 morceau de tige acier (corde à piano) de 1,5 mm pour 70 mm de long ; en vente dans les magasins spécialisés pour maquettes.

- 1 ampoule halogène de 150W du type protégé par une seconde ampoule, avec une douille à vis et du fil secteur ; en vente dans les magasins d'électricité.



Le principe de notre moteur est fort simple et strictement similaire à celui du mois dernier Les 8 lames sont disposées radialement autour d'un axe sur lequel elles peuvent tourner librement. Lorsque le système est froid, l'ensemble qu'elles forment est en équilibre. Si un bilame est chauffé - par une ampoule électrique - il se cambre jusqu'à 45 °C.



Le centre de gravité du système ne se trouve plus confondu avec l'axe : l'équilibre rompu est compensé par la rotation de l'ensemble ; à ce moment les bilames chauffés se refroidissent tandis que ceux qui arrivent alors devant l'ampoule sont chauffés à leur tour : la rotation se poursuit. Comme il s'agit d'une suite de ruptures d'équilibre, le mouvement est discontinu.



Nous disposons pour construire le rotor de 8 bilames qui devront être placés à 45° les uns des autres ; pour cela, on commencera par découper un gabarit octogonal (voir figure 1) inscrit dans un cercle de 64 mm de diamètre. Ce gabarit sera tracé et découpé dans un morceau de carton mince et dur genre bristol.




On tracera et découpera les 4 disques - technique du compas de découpe - dans du polystyrène de 2 mm d'épaisseur en se reportant à la figure 3; ces disques sont destinés à former le moyeu du rotor. Ils seront percés en leur centre d'un trou de 1,5 mm ; s'assurer de la perpendicularité du trou.



Ensuite, sur une feuille de papier à dessin format raisin, on tracera le plus précisément possible remplacement des 8 bilames (voir figure 5) en s'aidant d'un té, d'une équerre et d'une planche à dessin. Comme indiqué sur cette figure 5, après avoir tracé les 4 lignes à 45° passant par le centre, on reportera de part et d'autre 12 mm correspondant aux demi largeurs des bilames.



Il faut ensuite repérer le sens de cambrure (voir figure 6) des bilames en les exposant à la chaleur d'une simple ampoule électrique ; on mettra une marque au crayon feutre sur les faces concaves et lors du collage qui va suivre, on devra disposer les lames de telle sorte que toutes les faces virtuellement concaves soient toutes dans le même sens (recto par exemple).



On collera la pièce A, octogone en papier, sur B1 en s'aidant d'une aiguille pour son centrage et on immobilisera cette pièce B1 sur le dessin à l'aide d'une punaise passée dans le trou central de B1. Il restera à coller (cyanocrylate type gel) la première lame, comme indiqué figure 2, en la faisant correspondre avec le tracé et en l'appliquant contre l'un des 8 côtés de l'octogone.



Pour y parvenir on aura certainement à faire tourner la pièce B1 que l'on immobilisera ensuite sur le dessin avec de petits morceaux de ruban adhésif. On collera alors les 7 autres bilames en procédant de même tout en respectant le sens de cambrure virtuel et en veillant bien à leur contact avec l'un des côtés de l'octogone et avec le tracé sur la feuille de papier.








Ceci terminé, on enlèvera la punaise et on posera une forte masse (500g) sur les endroits collés ; on laissera sécher 1 heure. Tous les disques qui forment le moyeu doivent être concentriques, faute de quoi le disque ne tournerait pas rond.



Pour y parvenir aisément, on se servira de l'axe, une tige en corde à piano de 1,5 mm longue de 70 mm ; on enfilera cet axe dans le trou central de B1 et, après avoir enduit de colle cyanocrylate, type gel, les parties des bilames qui seront ensuite en contact avec B2, on enfilera ce dernier sur l'axe et on maintiendra les 2 disques sous pression (poids) pendant 1 heure ; ce faisant, on veillera à ne pas déplacer un disque par rapport à l'autre.



Les 2 autres disques (C1 et C2) seront ensuite collés (Uhu-Plast) de part et d'autre, comme indiqué figure 4, toujours en se servant de la tige d'acier enfilée dans le trou central des 4 disques. Notons que à moins de disposer d'un forêt de 1,1 mm pour percer les trous centraux, la rotation ne sera pas tout à fait libre ; or elle doit l'être car les couples de rotation sont très faibles.



La meilleure solution consiste à réduire légèrement le diamètre de l'axe en le fixant dans le mandrin d'une perceuse et, tandis qu'il tourne, en passant un morceau de toile émeri afin d'enlever un peu de matière. Il ne faut bien sur pas exagérer et faire un essai de temps en temps en ajoutant une goutte d'huile sur le palier ainsi formé.



La colonne et le socle sont composés des pièces D1 à J que l'on tracera, découpera et collera selon les indications données figure 7. On aura intérêt, au moment de percer les trous des pièces D1 et D2, à les superposer parfaitement et à les assembler avec du ruban adhésif avant de les percer ; les trous destinés à maintenir l'axe en corde à piano seront ainsi correctement alignés.



Quand toutes les pièces auront été assemblées, on fixera cet axe avec de la colle cyanocrylate. Des perles, ou un morceau de chalumeau à boire, seront enfilées sur l'axe afin de maintenir le rotor à environ 20 mm de D1. Un arrêtoir d'axe constitué par un petit carré de polystyrène percé d'un trou de 1,5 mm sera ensuite mis en place et éventuellement collé.




Le support de lampe, figures 8 et 9, est destiné à mettre l'ampoule halogène de 150W à la hauteur convenable ; sa construction est détaillée sur les figures. La pièce H doit être percée d'un trou dont le diamètre correspondra à celui de la collerette de la douille à vis employée. Un autre trou, destiné au passage du fil d'alimentation secteur, est à forer sur L1. L'ampoule halogène sera revêtue d'un papier aluminium que l'on disposera de telle sorte qu'il cache le filament vers l'arrière en le froissant, on lui donnera une forme qui suffira à le maintenir en place.



Le rotor en place, concavité des bilames tournée vers l'avant et tournant le plus librement possible, on placera derrière la lampe halogène sous tension, celle-ci doit être disposée près du centre du rotor et le plus près possible du plan des bilames. Alors celui qui se trouve devant la lampe se courbera spectaculairement vers l'avant et le rotor commencera à tourner du fait du déséquilibre ainsi provoqué.



Un second bilame se présentera et la rotation se poursuivra lentement mais sûrement par à-coups successifs. Après 4 ou 5 tours, les lames froides resteront encore légèrement courbées vers l'avant au moment où elles se présenteront devant la lampe. On en profitera pour rapprocher cette dernière, ce qui augmentera un peu la vitesse de rotation. Il sera facile, en déplaçant le socle de la lampe, d'optimiser sa position afin d'obtenir le meilleur rendement possible.



Mais quels que soient ces réglages, il ne faut pas s'attendre à une rotation rapide ni penser un jour utiliser ce moteur à bilames pour actionner un quelconque système. Tel qu'il est, il se présente seulement comme une démonstration de la dilatation des métaux et de la création d'un couple de rotation par déplacement du centre de gravité ; la courbure spectaculaire des lames montrera en tout cas qu'il n'est pas nécessaire de disposer de pouvoirs supranormaux pour agir sans y toucher sur les métaux.

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